« Je descends un autre fleuve, donc, je traverse une autre forêt, et me voici en compagnie d’un braconnier. Vendhuile de Julie VACHER m’ouvre à sa vie clandestine.
En voici un qui, peut-être, a atteint une zone blanche. En voici un qui a semé la société, qui n’apparaît plus sur les écrans de contrôle. Julie VACHER le suit, elle en est capable parce que le regard du cinéma substitue l’amour à la loi. Aimer ce qu’on voit, c’est la règle de l’art.
Est-ce que ce braconnier n’ouvre pas le site même de la nature? Est-ce qu’il ne se serait pas débarrassé du souci des clôtures pour voir ce que personne dans la région ne voit (sauf la cinéaste, qui est son double) ?
Là où la loi fige les habitants, la liberté du braconnier ouvre la nuit, élargit la forêt, et l’étang, et le territoire entier du vivant; elle traverse une expérience, celle des frémissements du paysage.
On se trompe sur lui : on le prend pour un ogre, un sorcier, un massacreur de bêtes, les gens du village le traquent, pourtant il ne menace rien ni personne : immobile sous sa tente dans la forêt, c’est lui le gardien du territoire, il attend, il scrute, son feu éclaire la nuit, il veille sur nous.
Les habitants du village forment autour de lui (de sa présence toujours fugitive) un cercle menaçant et sacrificiel, comme dans un tribunal. Lui s’échappe, il est toujours plus loin, au fil de
l’eau, ou très haut dans les arbres, au plus près de la canopée.
Et lorsque Julie VACHER s’approche enfin dans la nuit de la barque où il pêche, lorsque la caméra discerne son visage protégé par un chapeau de cowboy, on atteint un point mystérieux, fondamental, ce point discrètement sacrificiel où les tensions se retournent : celui qui chasse et qu’on chasse, celui qui, silencieux dans sa barque, n’a l’air de rien, est en même temps un roi.»


"Vendhuile" par Yannick Haenel,  2017

Texte extrait de ROMAN, 2017
Catalogue de l’exposition Panorama 19, Le Fresnoy, commissariat Jean de Loisy

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